Beaubourg Wine Tour Évasion Viticole

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Beaujolais et Mâconnais : une histoire de révolutions dans la vigne et le vin

Voyage au cœur des vignobles du Beaujolais et du Mâconnais

26 octobre 2025


Les origines antiques : naissance d’un vignoble sous l’influence romaine

L’histoire viticole des deux régions débute avec l’expansion de la culture de la vigne par les Romains. Dès le Ier siècle après J.-C., les légions et les colons favorisent le développement du vignoble le long de la Saône.

  • Dans le Beaujolais, les fouilles archéologiques à Beaujeu et aux alentours ont mis au jour des vestiges de cuves à vin et d’outils spécifiques, attestant la présence de la vigne dès l’Antiquité (source : Éditions La Taillanderie, "Histoire du Beaujolais", 2015).
  • Dans le Mâconnais, la ville de Mâcon, anciennement "Matisco", était un port fluvial stratégique pour le commerce du vin acheminé vers Lugdunum (Lyon) puis Rome. Les amphores siglées Mâconnais retrouvées jusqu’en Angleterre témoignent de cet essor commercial (source : Musée des Ursulines de Mâcon).

Cependant, les invasions barbares et la chute de l’Empire romain ont temporairement freiné le développement du vignoble, avant une nouvelle ère de prospérité impulsée par les monastères.

Moyen Âge et Renaissance : abbayes, seigneuries et rois, les bâtisseurs des terroirs

Le rôle déterminant des abbayes

Entre le IXe et le XIVe siècle, c’est l’Église qui porte à bout de bras la culture de la vigne. L’abbaye de Cluny, fondée en 910, joue un rôle clé dans la rénovation des vignobles du Mâconnais : elle structure le travail de la vigne, introduit de nouvelles pratiques de taille, et gère le commerce du vin vers le Nord de l’Europe (source : Cluny et son Ordre, CNRS Éditions, 2002).

  • En 1385, on compte près de 2 500 “journal” de vignes à Mâcon, soit environ 900 hectares, selon le cadastre médiéval
  • L’influence monastique est visible à travers des lieux-dits tels que “Clos des Moines”, “Abbaye de Saint-Gengoux”, “Chantemerle”

Noblesse et seigneurs : un âge d’or régional

Dans le Beaujolais, c’est la famille de Beaujeu qui structure la région dès le Xe siècle. Les seigneurs de Beaujeu s'émancipent rapidement du duché de Bourgogne, offrant au vignoble une autonomie précieuse.

L’annexion du Beaujolais au royaume de France en 1531 marque une étape décisive : le vin du Beaujolais, alors surnommé “vin françois”, est acheminé par voie fluviale jusqu’à Paris, auprès de la cour. Les privilèges de “franchise” permettent son commerce en contournant, durant près de 250 ans, les taxes du royaume (source : Patrick Macary, “Le Beaujolais”, Ed. Sud Ouest, 2001).

XVIIIe et XIXe siècles : crises, révoltes et innovations

De la révolution à l’exportation : les bouleversements de l’époque moderne

Le “Grand Siècle” voit le Beaujolais et le Mâconnais exporter leurs vins bien au-delà du royaume, grâce notamment à l’amélioration des routes et du réseau fluvial. Côté cépages, le Gamay (introduit entre le XIVe et le XVIIe siècles) s’impose dans le Beaujolais, tandis que le Chardonnay devient la signature du Mâconnais.

  • À la veille de la Révolution française, le Beaujolais compte 18 000 hectares de vigne (source : INAO), soit presque le double d’aujourd’hui.
  • Après la Révolution, la vente des biens nationaux redistribue terres et vignes, morcelant le foncier. C’est la naissance du modèle de petits propriétaires-récoltants encore dominant aujourd’hui.

Crises sanitaires, révoltes et modernisation

À la fin du XIXe siècle, le vignoble connaît des crises sans précédent :

  • Oidium (1852), mildiou (1882), puis surtout phylloxéra (à partir de 1874) déciment entre 70 et 90% des vignes du Beaujolais et du Mâconnais (source : Comité Vin Mâconnais-Beaujolais).
  • Des familles entières émigrent temporairement comme ouvriers urbains. D’autres replantent leur vigne avec des porte-greffes américains résistants – donnant naissance à une nouvelle cartographie du vignoble.
  • La révolte des vignerons du Mâconnais en 1907-08, en opposition à la baisse des prix et aux fraudes, will aboutit à la barricade la plus célèbre de la région, à la Roche-Vineuse.

La crise du phylloxéra introduit dès la fin du XIXe siècle des pratiques plus scientifiques de culture de la vigne, à l’origine des sélections massales encore pratiquées aujourd’hui dans les crus.

XXe siècle : reconnaissance, appellations et essor mondial

La naissance des AOC et l’identité des terroirs

La protection des terroirs s’officialise avec la création, dans les années 1930, de nombreuses Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) :

  • Le Beaujolais et le Beaujolais-Villages (AOC de 1937)
  • Les premiers crus (Morgon, Moulin-à-Vent, Fleurie, etc.) officiellement dénommés entre 1936 et 1946
  • La montée en puissance du Mâconnais avec les AOC Mâcon, Mâcon-Villages, puis les crus Pouilly-Fuissé (1936), Saint-Véran (1971), Viré-Clessé (1998)

Cette période marque aussi l’apparition des caves coopératives : la Cave des Vignerons de Juliénas, créée en 1924, est l’une des premières de France encore en activité (source : “Beaujolais, mémoire de vignes”, La Taillanderie, 2010).

L’envolée du Beaujolais Nouveau et la question de l’image

À partir des années 1950, la fête du “Beaujolais Nouveau” donne au vignoble une notoriété internationale. Grâce à la loi de 1951 autorisant la vente anticipée de vins nouveaux, le troisième jeudi de novembre devient un événement mondial, de Tokyo à New York.

  • Dans les années 1980-1990, plus de 70 millions de bouteilles de Beaujolais Nouveau sont écoulées chaque année à l’exportation (source : Inter Beaujolais).
  • Ce succès planétaire a permis d’écouler les surplus et de faire connaître la région, mais il a aussi contribué à forger, de manière parfois réductrice, l’image du Beaujolais autour d’un vin “primeur”.

Le Mâconnais, souvent plus discret, continue d’affirmer la réputation de ses blancs, notamment le Pouilly-Fuissé, devenu l’un des plus grands chardonnays de Bourgogne.

XXIe siècle : innovations, révolutions écologiques et identité retrouvée

Montée du bio et du “naturel”, retour aux terroirs

Depuis 2000, le vignoble du Beaujolais et du Mâconnais connait une nouvelle transformation, portée par :

  • Une explosion du nombre de domaines convertis à l’agriculture biologique (plus de 2 200 hectares en bio ou en conversion en 2022 dans le Beaujolais, soit 16% de la surface totale, selon l’Inter Beaujolais).
  • Le retour à des pratiques ancestrales, comme la vinification en grappes entières, et la montée des vins “nature” élaborés sans intrants, portés par des figures comme Jean Foillard, Yvon Métras ou Philippe Valette.
  • Le regain d’intérêt pour les sélections parcellaires et l’identité des 10 crus historiques du Beaujolais. En 2020, Pouilly-Fuissé a enfin accédé à la mention “Premier Cru” pour 22 climats, aboutissement d’un long combat pour la reconnaissance des terroirs mâconnais (source : INAO).

Changements climatiques et défis pour demain

Les dernières décennies sont marquées par le défi du réchauffement climatique, qui impacte la maturité, l’équilibre alcoolique et aromatique des vins. Les vignerons expérimentent :

  • L’introduction de nouveaux porte-greffes plus résistants à la sécheresse
  • La gestion de la canopée pour préserver la fraîcheur des raisins
  • Des réflexions sur l’adaptation des dates de vendanges – parfois avancées de 2 à 3 semaines par rapport aux années 1950 (source : Chambre d’Agriculture du Rhône et de Saône-et-Loire, 2023)

On assiste également à la redécouverte de cépages historiques, tels le Chasselas ou l’Aligoté, pour répondre aux évolutions du marché et du climat.

Un vignoble qui conjugue héritage et audace

À travers les vicissitudes de l’Histoire, le vignoble du Beaujolais et du Mâconnais a su inventer, se réinventer et concilier traditions et innovation. Des amphores romaines aux cuves inox, des révoltes vigneronnes aux fêtes mondiales, ses crises et ses renouveaux expliquent la formidable diversité de ses vins.

Aujourd’hui, un circuit dans ces vignobles, que ce soit à la découverte d’un crus confidentiel de Morgon ou des rouges dorés du Mâconnais, offre une formidable plongée dans une histoire vivante, ancrée dans le terroir et toujours tournée vers l’avenir. Curieux, amateurs ou passionnés, en parcourant ces paysages, chacun peut capter le fil rouge de cette aventure collective : celui d’une région qui, siècle après siècle, a fait du vin un symbole de convivialité et d’audace.

Sources citées :

  • Éditions La Taillanderie, "Histoire du Beaujolais", 2015
  • INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité)
  • Musée des Ursulines de Mâcon
  • “Beaujolais, mémoire de vignes”, La Taillanderie, 2010
  • Inter Beaujolais
  • Chambre d’Agriculture du Rhône et de Saône-et-Loire
  • Comité Vin Mâconnais-Beaujolais
  • Patrick Macary, “Le Beaujolais”, Ed. Sud Ouest, 2001
  • CNRS Éditions, “Cluny et son Ordre”, 2002

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