Beaubourg Wine Tour Évasion Viticole

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Les moines du Moyen Âge : pionniers de la viticulture en Beaujolais et Mâconnais

Voyage au cœur des vignobles du Beaujolais et du Mâconnais

20 octobre 2025


À la croisée des chemins : le Beaujolais et le Mâconnais, terres de passage et d’histoire

Le Beaujolais et le Mâconnais, tout au nord de l’ancienne Bourgogne, sont aujourd’hui réputés pour leurs vins de caractère. Mais avant que ces paysages de vignes ne façonnent l’identité de la région, ils ont été des terres d’échanges, marquées par une histoire millénaire, intimement liée au développement du christianisme en Europe de l’Ouest. Dès le haut Moyen Âge, des communautés monastiques s’y sont installées, posant les premières pierres – parfois littéralement – d’une tradition viticole toujours vivante.

Pourquoi tant de monastères dans ces vallées et coteaux ? Grâce à leur emplacement stratégique : la Saône, voie de commerce essentielle dès l’Antiquité, attire populations et pèlerins. À cheval entre Lyon, devenue capitale religieuse et intellectuelle (notamment grâce au rayonnement de l’Abbaye d’Ainay), Cluny, puis Mâcon, ces terres ne pouvaient qu’attirer des moines en quête de terres propices à la spiritualité… et à la culture de la vigne.

  • Fondation de Cluny (910) : l’un des plus grands centres monastiques de l’Europe médiévale, influençant directement la structuration de nombreux vignobles en Mâconnais.
  • Abbaye de Tournus : point d’ancrage des moines bénédictins au cœur du Mâconnais.
  • Prieurés Beaujolais : près d’une vingtaine au Moyen Âge !

Les moines et la vigne : une révolution agricole salutaire

Si la vigne existait en Gaule dès l’Antiquité, c’est bien entre le IX et le XII siècle que le métier de vigneron prend une nouvelle dimension. Les moines, obéissant à la règle de saint Benoît (« ora et labora », prie et travaille), lient spiritualité, rigueur et savoir-faire technique.

Organiser, planifier, sélectionner : la méthode monastique

  • Le cadastre monastique : Les archives révèlent que les moines furent parmi les premiers à réaliser des cartographies précises des parcelles, recensant terres, cépages, rendements… Un outil de gestion inédit pour l’époque ! (Source : OpenEdition – Le vignoble médiéval)
  • Sélection des cépages : Au lieu de tout planter indifféremment, ils privilégient les « plants nobles » adaptés au sol local. C’est ainsi que le gamay et le chardonnay deviendront, bien plus tard, les marqueurs de ces terroirs.
  • Canalisation de l’eau et drainage : Sur les coteaux escarpés, les moines aménagent des fossés, murets et drains pour optimiser l’irrigation. Certaines de ces structures sont toujours visibles, notamment à Juliénas et dans la vallée de la Grosne.

Les horaires et la convivialité monastiques

  • Travail rythmé par les offices, qui structure la journée du vigneron et optimalise le calendrier des tâches.
  • La notion d’hospitalité: le vin est un honneur à offrir aux pèlerins et visiteurs. La production dépasse donc le cadre des besoins internes, accélérant développement et commerce.

Petite anecdote : dès le XII siècle, certains monastères du Mâconnais, comme Saint-Philippe de Cluny, produisaient assez de vin pour en livrer jusqu’à l’évêché de Lyon, ce qui représentait parfois plus de 100 tonneaux par an !

L’apport technique des moines : du cep à la cave

Au fil des siècles, les communautés religieuses perfectionnent la maîtrise du vignoble et de la vinification. Leur approche, basée sur l’expérimentation patiente et l’échange de savoirs entre monastères, s’avère déterminante. Voici quelques-unes de leurs grandes contributions :

  • Taille et palissage : Les moines adaptent, perfectionnent et systématisent la taille courte, idéale pour les pentes du Beaujolais et du Mâconnais, favorisant la maturation homogène des raisins.
  • Pressurage : L’introduction de pressoirs à vis, très rares jusqu’au XII siècle, permet d’obtenir plus de jus, plus propre, limitant les risques de maladies.
  • Maîtrise du vieillissement: Expériences sur l'étanchéité et la fabrication des tonneaux, contrôle de l’humidité dans les caves. Beaucoup de chais encore utilisés reprennent l’architecture imaginée par les communautés.

Le témoignage de l’architecte Viollet-le-Duc au XIX siècle sur les abbayes du Mâconnais fait état de caves voûtées « d’une hauteur et d’une robustesse rares », adaptées à la conservation du vin sur plusieurs années (Source: Dictionnaire raisonné de l’architecture française).

Du clergé aux tables royales : rayonnement et commerce des vins monastiques

Le rayonnement du vin des moines dépasse vite les abbayes et les villages. Grâce aux dons seigneuriaux et à la gestion inventive du patrimoine viticole, les monastères possèdent parfois des centaines d’hectares, comme Cluny au XII siècle (plus de 250 hectares en exploitation, source : Archives Départementales de Saône-et-Loire).

  • Les plus beaux crus sont expédiés jusqu’à Paris, Avignon (sous la Papauté), voire l’Angleterre dès le XIII siècle.
  • Le vin monastique bénéficie de lettres de noblesse : Philippe le Hardi, puis François Ier, en font des vins de cour.
  • L’adoption d’un système de qualité (tri des raisins, limitation des rendements) pose les bases d’une réputation durable.

Les Hospices de Beaune et le modèle caritatif

À l’autre extrémité de la Bourgogne, les Hospices de Beaune sont célèbres pour leur vente aux enchères de vins, organisée depuis 1859. Ce modèle caritatif, initié en partie par la gestion monastique du vignoble, s’inspire de l’hospitalité médiévale et de l'esprit de partage, hérité de ces siècles où moines et vignerons travaillaient main dans la main.

Patrimoine vivant : de la Révolution à aujourd’hui

La Révolution française marque un tournant : les biens ecclésiastiques sont saisis et vendus, morcelant un vignoble patiemment constitué. Une donnée à garder en tête : en 1791, dans le Mâconnais et le Beaujolais, près de 60 % des meilleures terres viticoles étaient entre les mains d’abbayes et prieurés (source : Institut national de l’Origine et de la Qualité - INAO).

Pourtant, héritage monastique ne rime pas avec passé révolu. Beaucoup d’anciennes granges, caves et clos subsistent, parfois habités par des descendants de paysans ou modifiés après la Révolution, mais conservant la structure et l’esprit du terroir inventé par les moines.

  • Le Clos des Moines à Juliénas, la Grange du Prieuré à Fuissé, ou encore certains «*climates*» du pouilly-fuissé et du saint-véran, sont tous des héritiers directs du gotha viticole monastique.
  • Les appellations d’aujourd’hui (Beaujolais Villages, Mâcon...) superposent encore grossièrement les anciens territoires monastiques du Moyen Âge.

Moines et vignobles : anecdotes et influences durables

  • À Fleurie, la légende veut que les moines aient planté leurs vignes selon la disposition des constellations pour favoriser la bénédiction divine. Si rien ne le confirme, il est établi que plusieurs sites bénéficient d’une exposition solaire optimale grâce à l’expérience accumulée au fil des siècles.
  • On estime que plus de 70% des « climats » reconnus aujourd’hui en Bourgogne descendent d’une délimitation opérée d’abord par des communautés religieuses (source : UNESCO – Patrimoine mondial).
  • Plusieurs clos et paroisses portent encore les noms de saints, de prieurés, ou de moines bâtisseurs, rappelant cette proximité, du relief au verre.

Pour aller plus loin : visiter le patrimoine viticole monastique aujourd’hui

Explorer le Beaujolais et le Mâconnais avec un œil « monastique », c’est plonger dans une histoire d’innovation, de partage, et de traditions qui perdurent.

  • Cluny, ancienne abbaye, propose des parcours axés sur la viticulture de jadis, avec reconstitution de pressoirs et découvertes de caveaux.
  • Abbaye Saint-Philibert à Tournus : admirez l’association de la pierre romane et des vignobles qui bordent la Saône.
  • Circuit des Prieurés Viticoles : plusieurs itinéraires relient les monuments médiévaux à des domaines actuels, souvent en bio ou en biodynamie, perpétuant cet héritage de sagesse et d’équilibre.

De Juliénas à Fuissé, en passant par les pentes sereines de Brouilly ou les combes du mâconnais, chaque vigne raconte – et perpétue – le patient labeur des moines, bâtisseurs de paysages et passeurs de traditions.

Pour en apprendre davantage : Site de l’Abbaye de ClunyDossier INAO – Le livre Le Vin en Bourgogne au Moyen Âge de Philippe Meyzie (Presses Universitaires de Rennes).

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