Beaubourg Wine Tour Évasion Viticole

Beaubourg Wine Tour Évasion Viticole

XIXe siècle : l’ère de la grande transformation viticole du Beaujolais et du Mâconnais

Voyage au cœur des vignobles du Beaujolais et du Mâconnais

1 novembre 2025


Le XIXe siècle : entre tradition rurale et nouvelles influences

Le XIXe siècle a vu s’opérer un profond bouleversement dans l’univers viticole français. Pour les terres du Beaujolais et du Mâconnais, ces années furent synonymes de mutations à la fois douloureuses et porteuses d’un nouvel élan. Le vignoble, enraciné dans la tradition, a dû faire face à des défis inédits et saisir de nouvelles opportunités. Cette époque charnière marque la transition entre les anciennes façons de travailler la vigne et les balbutiements d’une viticulture moderne.

Le contexte historique : au cœur des mutations françaises

Le XIXe siècle s’ouvre dans un climat incertain. L’Empire puis la Restauration, la monarchie de Juillet, la Révolution de 1848 et le Second Empire, autant de bouleversements qui traversent la société, modifiant aussi la place de la vigne. Les crises politiques s’ajoutent à une génération de vignerons déjà sujette aux aléas climatiques et économiques.

  • L’exode rural commence à se faire sentir dès la fin du XIXe siècle : les campagnes se vident, de nombreux jeunes quittent les vignes pour les villes en plein essor industriel.
  • La naissance du rail : l’arrivée du chemin de fer dans les années 1850 bouleverse la commercialisation du vin. Désormais, la production locale peut atteindre Paris ou Lyon en quelques heures à peine.
  • Les crises agricoles et économiques : le siècle est loin d’être une longue période de stabilité, avec notamment la fameuse crise du phylloxéra.

Dans ce contexte, la viticulture doit se réinventer pour survivre.

Les grandes crises phytosanitaires et leur impact

Impossible d’aborder le XIXe siècle sans évoquer les trois grands fléaux qui touchèrent la vigne :

  1. L’oïdium (première apparition vers 1851)
  2. Le phylloxéra (arrivé en France en 1863, vers le Gard, puis à la fin des années 1870 dans le Beaujolais et le Mâconnais)
  3. Le mildiou (dès 1878-1880)

L’oïdium, un champignon venu d’Angleterre, s’attaque aux feuilles et aux grappes ; il affaiblit considérablement les rendements à partir du début des années 1850. La solution est trouvée de façon empirique grâce au soufre. Le phylloxéra — ce minuscule puceron originaire des États-Unis — bouleverse tout sur son passage. Entre 1863 et 1889, il détruit près de 1,8 million d’hectares de vignes en France selon l’INRA. Dans le Beaujolais et le Mâconnais, l’invasion se répand dans les années 1874-1880, ravageant progressivement la quasi-totalité des ceps. Le mildiou suit de près, s’attaquant aux feuilles et aux grappes lors des étés humides. Les solutions de traitement au cuivre – célèbre bouillie bordelaise – naissent justement à cette époque.

  • L’apparition de ces maladies entraîne un changement radical : abandon partiel de variétés locales, gréffage systématique sur porte-greffes américains plus résistants (à partir de 1884-1887 dans le secteur), fin d’un certain modèle viticole, bouleversement des paysages végétaux.
  • La reconstitution du vignoble, longue et douloureuse, favorise une sélection plus rigoureuse des cépages et des terroirs : le Gamay noir à jus blanc en Beaujolais, le Chardonnay en Mâconnais.

Anecdote : il ne restait plus, selon les archives de la Chambre d’agriculture du Rhône, que 10 % des pieds d’avant phylloxéra dans les parties basses du Beaujolais au tournant du XXe siècle.

Le chemin de fer ou la révolution de la distribution

Un autre bouleversement souvent sous-estimé est l’arrivée du chemin de fer. C’est en 1854, avec la ligne PLM (Paris-Lyon-Méditerranée), que les vins du Beaujolais et du Mâconnais changent d’horizon. En quelques décennies :

  • L’expédition vers Paris (via la gare de Mâcon) devient possible en une journée, contre plusieurs jours à cheval ou en charrette auparavant.
  • La proportion des ventes vers l’extérieur explose : le Beaujolais expédie 70 % de sa production hors région dans les années 1865 (source : Le Vin en France, Jean-Robert Pitte).
  • On crée des négoces-vignerons à la croisée du local et de l’export : Georges Dubœuf fonde sa maison de négoce en 1964, mais les grandes structures datent souvent de la deuxième moitié du XIXe siècle (collaborations entre commerçants de Lyon, Mâcon et Paris).

Le rail ouvre la porte à une « démocratisation du vin » : on découvre en ville le Gamay—longtemps méprisé—et les blancs de Mâcon, qui deviennent supports de fêtes populaires (naissance du mythe du Beaujolais nouveau un peu plus tard).

Réorganisation du vignoble et essor des coopératives

La crise du phylloxéra force les vigneronnes et vignerons à repenser leurs méthodes. Il s’ensuit :

  • Une structuration poussée autour des villages : apparition et consolidation des « crus » du Beaujolais (Moulin-à-Vent, Fleurie, Juliénas…) dans les années 1860-1880 ; une reconnaissance formelle plus tardive, mais la notoriété s’ancre à cette époque grâce à une meilleure maîtrise des terroirs et à la sélection variétale.
  • Le regroupement coopératif : création dès 1929 de la Cave coopérative de Charnay, mais le mouvement est amorcé dans l’entre-deux-guerres, largement inspiré par le modèle germanique, pour aider les petits exploitants criblés de dettes post-phylloxéra.
  • Le développement du syndicalisme viticole dès la fin du XIXe siècle, avec pour objectif la défense du vin local contre les fraudes et les importations massives de vins d’Algérie notamment.

La fixation des appellations et la naissance du concept de « crus »

C’est au XIXe que s’affirment les premières distinctions entre les différents terroirs : certains climats du Beaujolais prennent petit à petit leur envol (Moulin-à-Vent, célèbre lors de l’Exposition universelle de 1867), tandis qu’en Mâconnais, la notoriété naissante du Chardonnay s’affirme chez certains propriétaires de Solutré ou Fuissé.

  • L’Exposition universelle de Paris en 1867 met le Beaujolais et le Mâconnais à l’honneur : le vin français se doit de rivaliser avec l’Italie et la Hongrie, et les dégustations sont l’occasion de classer les vins sur des critères de terroir et de constance qualitative.
  • L’apparition des sociétés d’agriculture et de dégustation soutient ce mouvement vers la qualité et la précision botanique.
  • Les bases du futur système des AOC (1936) sont ainsi posées, même s’il faudra attendre plusieurs décennies pour une reconnaissance légale.

Effervescence sociale et renouvellement des pratiques

L’esprit d’innovation se diffuse dans les campagnes autour de Villefranche, Belleville ou Mâcon. De nouvelles méthodes culturales naissent grâce aux échanges avec Bordeaux (greffage, palissage, lutte chimique) mais aussi via les écoles d’agriculture et les foires-expositions régionales.

  • Essor du greffage (obligatoire dès le décret de 1894), disparition progressive de nombreux cépages locaux comme le Gamay du Bouze ou le Pinot gris pour ne garder que le Gamay et le Chardonnay.
  • Expérimentation continue sur les pratiques (taille, densité de plantation, orientation des parcelles), ce qui va structurer l’identité visuelle des paysages de coteaux.
  • Montée en compétences des vignerons suivant l’exemple des écoles d’agriculture, permettant une meilleure maîtrise des vinifications et de la commercialisation.

L’évolution du paysage viticole : des chiffres et des faits

À la fin du XVIIIe siècle, le vignoble du Beaujolais s’étendait sur environ 35 000 hectares (source : Archives départementales du Rhône), un chiffre qui chute à 20 000 hectares au crépuscule du XIXe siècle, les maladies et l’exode rural ayant fait leur œuvre. Le Mâconnais suit une courbe similaire, passant d’environ 25 000 hectares à 13 000 hectares. Ce redimensionnement du vignoble, forcé et douloureux, permet également de mieux cibler les meilleurs terroirs et d’endiguer la surproduction.

  • La productivité augmente néanmoins grâce à de nouveaux outils (sulfateurs, chevaux plus robustes, premières machines à vendanger à la fin du siècle).
  • Le mouvement des foires, marchés et expositions agricoles structure le calendrier viticole annuel et encourage l’émulation entre domaines.

Pourquoi ce tournant n’a-t-il pas d’équivalent ailleurs ?

Si toutes les régions viticoles françaises ont dû faire face à la triple crise Oïdium—Phylloxéra—Mildiou, le Beaujolais et le Mâconnais se singularisent par :

  • Un rapport très étroit entre crise et innovation, où la perte massive de surface plantée se double très vite d’une structuration sociale forte (coopératives, syndicats, liens avec la bourgeoisie lyonnaise…)
  • Un repositionnement en quelques décennies sur la scène nationale : alors que les vins de table faisaient la majorité du volume, on observe au tournant du XXe siècle un essor qualitatif et une meilleure reconnaissance des crus de village.

Cette période scelle aussi pour longtemps le mariage entre la ville de Lyon et le Beaujolais, qui devient le « vin des bouchons lyonnais ». C’est aussi le siècle où les blancs du Mâconnais commencent à s’exporter, via des réseaux commerçants dynamisés par le chemin de fer.

L’héritage du XIXe siècle dans la viticulture actuelle

Presque tout ce que l’on admire et savoure aujourd’hui dans le verre – du fruité du Gamay de Chiroubles à l’élégance d’un Pouilly-Fuissé – trouve ses racines dans ce XIXe siècle riche en révolutions. Méthodes de plantation, sélection des cépages, paysages de coteaux, maisons de négoce, foires, syndicats, mythes fondateurs… tout part de là.

  • Le phylloxéra, en ruinant la monoculture, a favorisé une forme de diversité et ouvert la région au monde.
  • La sélection des terroirs, plus rigoureuse, a permis l’émergence des crus qui font aujourd’hui la célébrité du Beaujolais et la finesse du Mâconnais.
  • Le passage du local au mondial (grâce au rail) inaugure la grande aventure des exportations, relancée au XXe siècle.

Enfin, le XIXe siècle a donné au vignoble sa dimension humaine et fraternelle : l’effort collectif pour surmonter l’adversité comme pour réinventer ses paysages, à la croisée du terroir et de la modernité.

Pour aller plus loin

En savoir plus à ce sujet :

Beaujolais et Mâconnais : une histoire de révolutions dans la vigne et le vin

26/10/2025

L’histoire viticole des deux régions débute avec l’expansion de la culture de la vigne par les Romains. Dès le Ier siècle après J.-C., les légions et les colons favorisent le d...

Aux origines des vignes du Beaujolais et du Mâconnais : voyage dans le temps

15/10/2025

Les paysages vallonnés du Beaujolais et du Mâconnais évoquent aujourd’hui l’excellence d’un vignoble mondialement réputé. Mais depuis quand la vigne y a-t-elle planté racine ? Derrière chaque bouteille se cachent des siècles d...

Quand l’Histoire secoue la vigne : Guerres, crises économiques et mutations de la viticulture locale

29/10/2025

La beauté paisible des paysages viticoles du Beaujolais et du Mâconnais cache souvent une histoire mouvementée. La vigne est une rescapée : résilience, adaptation, mais aussi bouleversements spectaculaires ont rythmé son évolution. Le vin est bien plus...

De la prière à la treille : le Moyen Âge, fer de lance de la viticulture en Beaujolais et Mâconnais

23/10/2025

À partir du IX siècle, l’expansion du christianisme et le développement des abbayes jouent un rôle clé dans la renaissance de la viticulture dans l’actuel Beaujolais et Mâconnais. Les moines de Cluny, dont l’abbaye...

Les moines du Moyen Âge : pionniers de la viticulture en Beaujolais et Mâconnais

20/10/2025

Le Beaujolais et le Mâconnais, tout au nord de l’ancienne Bourgogne, sont aujourd’hui réputés pour leurs vins de caractère. Mais avant que ces paysages de vignes ne façonnent l’identité de la r...