Le XIXe siècle a vu s’opérer un profond bouleversement dans l’univers viticole français. Pour les terres du Beaujolais et du Mâconnais, ces années furent synonymes de mutations à la fois douloureuses et porteuses d’un nouvel élan. Le vignoble, enraciné dans la tradition, a dû faire face à des défis inédits et saisir de nouvelles opportunités. Cette époque charnière marque la transition entre les anciennes façons de travailler la vigne et les balbutiements d’une viticulture moderne.
Le XIXe siècle s’ouvre dans un climat incertain. L’Empire puis la Restauration, la monarchie de Juillet, la Révolution de 1848 et le Second Empire, autant de bouleversements qui traversent la société, modifiant aussi la place de la vigne. Les crises politiques s’ajoutent à une génération de vignerons déjà sujette aux aléas climatiques et économiques.
Dans ce contexte, la viticulture doit se réinventer pour survivre.
Impossible d’aborder le XIXe siècle sans évoquer les trois grands fléaux qui touchèrent la vigne :
L’oïdium, un champignon venu d’Angleterre, s’attaque aux feuilles et aux grappes ; il affaiblit considérablement les rendements à partir du début des années 1850. La solution est trouvée de façon empirique grâce au soufre. Le phylloxéra — ce minuscule puceron originaire des États-Unis — bouleverse tout sur son passage. Entre 1863 et 1889, il détruit près de 1,8 million d’hectares de vignes en France selon l’INRA. Dans le Beaujolais et le Mâconnais, l’invasion se répand dans les années 1874-1880, ravageant progressivement la quasi-totalité des ceps. Le mildiou suit de près, s’attaquant aux feuilles et aux grappes lors des étés humides. Les solutions de traitement au cuivre – célèbre bouillie bordelaise – naissent justement à cette époque.
Anecdote : il ne restait plus, selon les archives de la Chambre d’agriculture du Rhône, que 10 % des pieds d’avant phylloxéra dans les parties basses du Beaujolais au tournant du XXe siècle.
Un autre bouleversement souvent sous-estimé est l’arrivée du chemin de fer. C’est en 1854, avec la ligne PLM (Paris-Lyon-Méditerranée), que les vins du Beaujolais et du Mâconnais changent d’horizon. En quelques décennies :
Le rail ouvre la porte à une « démocratisation du vin » : on découvre en ville le Gamay—longtemps méprisé—et les blancs de Mâcon, qui deviennent supports de fêtes populaires (naissance du mythe du Beaujolais nouveau un peu plus tard).
La crise du phylloxéra force les vigneronnes et vignerons à repenser leurs méthodes. Il s’ensuit :
C’est au XIXe que s’affirment les premières distinctions entre les différents terroirs : certains climats du Beaujolais prennent petit à petit leur envol (Moulin-à-Vent, célèbre lors de l’Exposition universelle de 1867), tandis qu’en Mâconnais, la notoriété naissante du Chardonnay s’affirme chez certains propriétaires de Solutré ou Fuissé.
L’esprit d’innovation se diffuse dans les campagnes autour de Villefranche, Belleville ou Mâcon. De nouvelles méthodes culturales naissent grâce aux échanges avec Bordeaux (greffage, palissage, lutte chimique) mais aussi via les écoles d’agriculture et les foires-expositions régionales.
À la fin du XVIIIe siècle, le vignoble du Beaujolais s’étendait sur environ 35 000 hectares (source : Archives départementales du Rhône), un chiffre qui chute à 20 000 hectares au crépuscule du XIXe siècle, les maladies et l’exode rural ayant fait leur œuvre. Le Mâconnais suit une courbe similaire, passant d’environ 25 000 hectares à 13 000 hectares. Ce redimensionnement du vignoble, forcé et douloureux, permet également de mieux cibler les meilleurs terroirs et d’endiguer la surproduction.
Si toutes les régions viticoles françaises ont dû faire face à la triple crise Oïdium—Phylloxéra—Mildiou, le Beaujolais et le Mâconnais se singularisent par :
Cette période scelle aussi pour longtemps le mariage entre la ville de Lyon et le Beaujolais, qui devient le « vin des bouchons lyonnais ». C’est aussi le siècle où les blancs du Mâconnais commencent à s’exporter, via des réseaux commerçants dynamisés par le chemin de fer.
Presque tout ce que l’on admire et savoure aujourd’hui dans le verre – du fruité du Gamay de Chiroubles à l’élégance d’un Pouilly-Fuissé – trouve ses racines dans ce XIXe siècle riche en révolutions. Méthodes de plantation, sélection des cépages, paysages de coteaux, maisons de négoce, foires, syndicats, mythes fondateurs… tout part de là.
Enfin, le XIXe siècle a donné au vignoble sa dimension humaine et fraternelle : l’effort collectif pour surmonter l’adversité comme pour réinventer ses paysages, à la croisée du terroir et de la modernité.
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