Beaubourg Wine Tour Évasion Viticole

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Vignobles en mutation : l’essor moderne du Beaujolais et du Mâconnais au XXe siècle

Voyage au cœur des vignobles du Beaujolais et du Mâconnais

7 novembre 2025


Le contexte de la viticulture au tournant du XXe siècle

Au sortir du XIXe siècle, le Beaujolais et le Mâconnais font face à des défis de taille. Le phylloxéra, ce minuscule insecte originaire d’Amérique, a ravagé la quasi-totalité des vignobles français entre 1875 et 1890, obligeant à replanter massivement en greffant sur des porte-greffes américains. Si cette crise a marqué la fin d’une époque, elle a aussi posé les bases de la modernisation à venir.

  • Le Beaujolais compte environ 35 000 hectares plantés au début du XXe siècle (source : Inter Beaujolais).
  • Le Mâconnais, plus morcelé, se distingue par la diversité de ses sols et cépages, mêlant gamay, pinot noir, chardonnay et aligoté.
  • Les deux régions restent alors dominées par une viticulture familiale, paysanne, peu mécanisée et soumise aux aléas climatiques comme économiques.

Nouvelles techniques à la vigne : de la traction animale à la mécanisation

Une première révolution touche l’outillage et les méthodes de culture. Jusqu’après la Première Guerre mondiale, la traction animale reste la règle dans les vignes de pente, même si le relief du Beaujolais limite l’usage de la machine. Mais à partir des années 1950, le tracteur débarque, allégeant considérablement le travail des vignerons.

  • Le tracteur enjambeur : apparu dans les années 1960, il s’adapte aux rangs étroits des vignes beaujolaises. Selon le CIVB, la mécanisation permet de couvrir jusqu’à 3 hectares par jour, contre 30 ares à la main.
  • Les traitements phytosanitaires connaissent aussi une transformation majeure avec l’arrivée des produits de synthèse (sulfates, DDT) dans l’immédiate après-guerre, avant une prise de conscience plus récente des impacts environnementaux.
  • L’irrigation reste marginale dans ces régions, la nature du sous-sol permettant généralement de conserver une bonne réserve hydrique malgré les épisodes de sécheresse.

Le développement des appellations et la montée en gamme

Le XXe siècle, c’est aussi l’avènement des appellations d’origine contrôlée (AOC), créées en 1935. Dès 1936, le Beaujolais devient une des premières AOC françaises, bientôt rejoint par ses crus (Morgon, Moulin-à-Vent, Fleurie…). Le Mâconnais obtient rapidement ses distinctions propres (Mâcon, Pouilly-Fuissé, Saint-Véran...).

  • Entre 1960 et 2000, la surface classée en AOC progresse de 40 % dans le Beaujolais (source : INAO).
  • Le Mâconnais voit naître la célèbre AOC Pouilly-Fuissé, aujourd’hui emblème du chardonnay bourguignon.
  • La mise en place des AOC stimule la qualité et valorise les bonnes pratiques viticoles, incitant aux sélections parcellaires et à la baisse des rendements.

Dans le même temps, l’essor du Beaujolais Nouveau révolutionne le commerce du vin. L’idée, lancée à la fin des années 1950, devient un succès international après 1985 : en novembre, le monde entier fête la sortie de ce vin primeur. À son apogée dans les années 1990, plus de 65 millions de bouteilles de Beaujolais Nouveau étaient exportées chaque année (source : Le Monde).

La coopérative, moteur de modernisation collective

Très fragilisée après le phylloxéra et les guerres, la viticulture locale bénéficie d’une nouvelle dynamique à travers le mouvement coopératif. Dès 1929, la toute première coopérative du Beaujolais voit le jour à Saint-Julien. Dans les décennies suivantes, la mutualisation des outils de vinification, des achats et de la commercialisation facilite l’accès à la modernité pour les petits producteurs, qui restent nombreux dans ces régions.

  • En 2020, près de 45 % des volumes produits en Beaujolais proviennent encore de caves coopératives (source : Inter Beaujolais).
  • Dans le Mâconnais, la Cave des Vignerons de Mancey, créée en 1929, ou celle de Lugny, fondée en 1926, illustrent la puissance de ce modèle.
  • Un atout essentiel : mutualiser la recherche, les investissements et garantir des débouchés stables.

Les révolutions dans la cave : maîtrise de la vinification, hygiène et innovation

Si la vigne a changé, la cave aussi ! Le XXe siècle marque la fin du « vin de hasard » : la maîtrise des températures lors de la fermentation – grâce aux bacs à glace, puis aux groupes frigorifiques – améliore la qualité et la régularité des vins.

  • L’arrivée des cuves inox dans les années 1960 représente une avancée majeure. Leur inertie et leur facilité d’entretien bouleversent la vinification du chardonnay et du gamay.
  • L’attention à l’hygiène s’accroît, limitant les risques de maladies du vin grâce à la vulgarisation de la chimie œnologique.
  • Les méthodes sont affinées, comme la macération carbonique spécifique au Beaujolais, qui valorise la fraîcheur du fruit. Cette méthode, très étudiée dans les années 1970 par Jules Chauvet, inspire jusqu’à la nouvelle vague des vins nature (voir l’ouvrage "Le Vin en question" d’Antoine Gerbelle).

De la crise à la renaissance : adaptation des vignobles face aux défis économiques

Le XXe siècle n’est pas qu’une success story : la viticulture affronte plusieurs chocs. Dès les années 1970, la surproduction débouche sur une chute des prix, tandis que la consommation française de vin passe de près de 120 litres par personne et par an en 1960 à moins de 50 litres aujourd’hui (source : FranceAgriMer).

  1. Dérégulation : La libéralisation européenne du marché du vin en 1970-80 expose les petits producteurs à la concurrence mondiale, obligeant à repenser la stratégie commerciale.
  2. Reconversion des surfaces : Entre 1985 et 2020, le vignoble beaujolais perd 6 000 hectares, résultat d’une politique d’arrachage encouragée par les pouvoirs publics (source : Agreste).
  3. Montée en qualité : Répondant aux nouveaux goûts des consommateurs, les vignerons misent sur le local, les crus, les cuvées parcellaires, le bio et la biodynamie.

Vers une viticulture durable : l’éveil environnemental et le retour au terroir

Depuis les années 1990, la viticulture du Beaujolais et du Mâconnais emprunte résolument le chemin de la qualité et de la durabilité. Le développement du bio est spectaculaire, avec près de 10 % des surfaces certifiées ou en conversion dans le Beaujolais en 2023 selon l’INAO, une proportion qui a doublé en 8 ans.

  • Viticulture raisonnée : Les initiatives collectives (Terra Vitis, HVE) incitent à réduire les traitements et préserver la biodiversité.
  • Renaissance des cépages oubliés : Dans le Mâconnais, le retour à l’aligoté, au pinot gris ou même au gamay blanc incarne une volonté d’authenticité.
  • Protection du paysage : Le classement des "climats" du Beaujolais au patrimoine mondial de l’UNESCO est en projet, à l’image de la réussite bourguignonne (source : Le Progrès, 2023).

Portraits d’initiatives et anecdotes marquantes

La modernisation passe souvent par des personnalités visionnaires :

  • Jules Chauvet, négociant-chimiste à La Chapelle-de-Guinchay, pionnier de l’analyse sensorielle, dont les écrits sur la vinification inspirent la mouvance des vins « nature » aujourd’hui.
  • La famille Bret, dans le Mâconnais, figure de la conversion biologique et de la valorisation des parcelles historiques, primés au guide Revue du Vin de France.
  • La création, en 1934, de la plus ancienne fête du Beaujolais Nouveau à Beaujeu, ville qui reste le point de rencontre international chaque automne pour lever les verres.

Vers une nouvelle ère : dernières tendances et ouverture

Les innovations continuent d’affluer en Beaujolais et en Mâconnais. Vendanges nocturnes pour préserver la fraîcheur, cuvées en amphores pour renouer avec l’Antiquité, essor de l’œnotourisme et de la vente directe : le XXe siècle a ouvert la voie à un renouveau qui se poursuit plus que jamais au XXIe.

Aujourd’hui, ces vignobles conjuguent le respect de la tradition et la créativité, à la recherche d’une identité forte et d’une empreinte plus légère sur l’environnement. L’ancrage local, la richesse des terroirs et la soif d’innovation font du Beaujolais et du Mâconnais des terres d’expériences vivantes, où chaque verre raconte l’histoire d’un siècle de transformations. Prendre le temps de (re)découvrir ces vins, c’est embrasser tout un pan de notre patrimoine vivant.

  • Sources : Inter Beaujolais, INAO, FranceAgriMer, Agreste, Le Monde, Le Progrès, Revue du Vin de France, "Le Vin en question" (A. Gerbelle).

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