Beaubourg Wine Tour Évasion Viticole

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Des amphores aux coteaux : l’héritage romain dans la viticulture du Beaujolais et du Mâconnais

Voyage au cœur des vignobles du Beaujolais et du Mâconnais

17 octobre 2025


Un tournant décisif : l’arrivée de la vigne et des Romains en Gaule

Si l’on se promène aujourd’hui entre les rangs de gamay ou de chardonnay du Beaujolais et du Mâconnais, difficile de ne pas sentir la force tranquille des siècles dans le paysage. Pourtant, il est fascinant de penser qu’il fut un temps où la vigne était rare, voire inexistante sur ces terres. C’est là qu’intervient l’histoire avec un grand H : l’emprise des Romains sur la Gaule a marqué un avant et un après décisif pour la viticulture locale.

Avant la conquête romaine (fin du IIème siècle avant J.-C.), la culture de la vigne reste très localisée et limitée chez les Gaulois : le vin existait, mais il venait surtout d’Italie ou d’Espagne sous forme d’importation, réservé à une élite. L’arrivée des légions romaines va cependant bouleverser les habitudes alimentaires, sociales et agricoles, marquant ainsi le début d’une longue aventure viticole dans nos régions.

Les raisons derrière l’intérêt des Romains pour la vigiculture gauloise

Pourquoi les Romains tiennent-ils tant à voir la vigne pousser hors d’Italie ? Pour au moins trois raisons :

  • La transplantation du mode de vie romain : le vin est central dans la culture romaine, il rythme les banquets, les rituels religieux, les échanges commerciaux.
  • Un attrait économique : la production locale permet d’éviter les coûteux transports maritimes et de répondre à la demande des légionnaires et colons.
  • L’intégration des populations : implanter la vigne, c’est aussi romaniser les territoires, diffuser l’urbanisme (création de ), des artisans, des marchés locaux.

D’après l’historien André Tchernia (Le vin de la Méditerranée antique), dès le Ier siècle de notre ère, le paysage gaulois se transforme. Les vignes colonisent les pentes du Beaujolais, du Mâconnais, de la Côte chalonnaise et au-delà, là où les conditions leur sont favorables.

Des techniques viticoles révolutionnaires : la patte romaine

Du sauvage au maîtrisé : la domestication de la vigne

Les Romains ne se sont pas contentés d’étendre la surface plantée. Ils introduisent dans nos régions :

  • La sélection des cépages : Selon Columelle, agronome du Ier siècle, les Romains avaient déjà élaboré des classifications de cépages selon leur vigueur, leur goût ou leur adaptation au climat (Wikipedia).
  • La taille et le palissage : Avant eux, la vigne poussait souvent sur des arbres (). Les Romains privilégient la culture en treille basse, facilitant la récolte et le contrôle des rendements.
  • La densité des plantations : Ils posent aussi les bases de la “viticulture intensive” avec des rangs plus serrés, bien exposés au soleil, anticipant déjà la notion de terroir.

Aménagement du terroir et innovations architecturales

  • Les Romains construisent des villas (domaines agricoles) et des caves souterraines pour favoriser l’élevage et la conservation du vin.
  • Ils introduisent la vinification en amphores et développent les premiers tonneaux, inspirés des peuples de l’Est et de la Gaule, pour faciliter le transport et l’élevage (source : Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal).
  • Ils maîtrisent l’usage du soufre et d’herbes aromatiques pour la conservation du vin (voir CNRS).

Le vin, un vecteur de l’économie gallo-romaine

La vigne et le vin deviennent vite de puissants moteurs économiques. Les exportations vers Rome et d’autres régions tentaculaires de l’Empire ont laissé de spectaculaires témoignages :

  • Au Ier siècle, la Gaule exporte plus d’un million d’amphores de vin par an, selon la base de données du Projet Dressel sur les amphores gallo-romaines – une croissance exponentielle par rapport à l’époque gauloise.
  • La carte d’implantation des villæ suggère une concentration dans les vallées bien exposées et le long des axes fluviaux (Saône, Rhône, Loire), préfigurant les grands terroirs d’aujourd’hui.
  • Des sites archéologiques comme Saint-Laurent-sur-Saône ou Mont Beuvray ont révélé la présence de pressoirs, de cuves à fermentation et d’ateliers de potiers spécialisés dans la fabrication d’amphores (Musée de Bibracte).

Une mutation culturelle et religieuse : la romanisation par le vin

Pour les Gaulois comme pour les Romains, le vin prend bien vite une dimension culturelle, voire sacrée. Les banquets, les libations aux dieux, la convivialité autour du partage du vin fusionnent les univers :

  • Adoption des rites romains dans les pratiques funéraires et religieuses locales (ex : offrande de coupes de vin sur les tombes).
  • Hybridation entre mythologie gauloise et divinités du vin : Bacchus (Dionysos), Sucellus, ou Liber Pater… font doucement vibrer la vie quotidienne.
  • Apparition d’une culture de la vigne et du vin dans la structure des villes antiques locales (ex : Vienne, Autun, Lyon – sources : INHA, Gaulois & Romains).

Les vestiges du passé : Bailleroche, Cluny et le Beaujolais gallo-romain

L’histoire locale regorge de traces concrètes du passage des Romains et de leur impact sur la viticulture :

  • À Bailleroche (St-Igny-de-Vers, Beaujolais nord), des fragments d’amphores romaines et de pressoirs témoignent d’une production active dès le Ier siècle de notre ère (beaujolais.com).
  • À Cluny, dans le sud de la Saône-et-Loire, les fouilles dans les caves révèlent des alignements de fosses de plantation et d’anciens pressoirs gallo-romains, confirmant une viticulture déjà structurée à l’époque romaine.
  • Sur le Mont Brouilly, des traces d’habitat et de stockage antique dessinent la permanence de la vigne sur les hauteurs, héritage direct de l’implantation romaine.

Derrière chaque village, chaque colline, on retrouve souvent un indice ou une histoire qui remonte à la romanisation : un nom d’origine latine (“villare”, “vinea”), un vestige dans les fondations d’une église, ou l’orientation des parcelles selon le soleil… tout nous rappelle cette filiation antique.

Des héritages encore visibles aujourd’hui

L’héritage romain reste bien vivant dans la viticulture locale, jusque dans les gestes quotidiens :

  • Organisation des parcelles définies par les centuriations : des rectangles dessinés pour optimiser l’espace et le rendement (on en distingue encore la trame autour de Mâcon ou Lyon, selon l’École française d’Athènes).
  • La pratique du palissage bas (petite hauteur) évolue aujourd’hui vers la “gobelet”, une taille ancestrale héritée du monde romain.
  • L’ajustement constant cépage-terroir, dans la recherche d’équilibre et d’expression, fait écho à la pratique romaine de sélection des plants vigoureux ou précoces (source : André Tchernia, Le vin de la Méditerranée antique).

Même la culture populaire s’empare de ce passé: la fête des vendanges, les mots du vin adoptés du latin (“vendemia”, “vinum”, “viticultura”), les circuits des routes touristiques, sont les témoins du fil tissé entre Antiquité et modernité.

Le vignoble d’hier inspire les vignerons d’aujourd’hui

Arrêter le regard sur la période gallo-romaine, c’est comprendre que la construction de nos paysages viticoles actuels repose sur des fondations vieilles de près de 2 000 ans. Les Romains, en acclimatant la vigne, ont contribué à établir un savoir-faire local et une culture de la convivialité transmise jusqu’à nos tables d’aujourd’hui.

  • Le choix des coteaux, de l’exposition, les pratiques culturales et même l’idée de “cru” trouvent écho dans l’organisation romaine du territoire.
  • L’exigence de qualité, la diversité variétale et la volonté d’inscrire le vin dans les moments importants de la vie trouvent leurs racines dans cette histoire ancienne.

Souvent, vignerons et cavistes aiment rappeler que chaque verre de Beaujolais ou de Mâcon cache une histoire plus ancienne qu’il n’y paraît. Une mémoire inscrite dans la terre, façonnée par la main humaine et héritée des Romains, qui ont su voir dans nos terroirs, bien avant nous, un potentiel d’exception.

Pour aller plus loin, rien de tel qu’une balade entre vignes et vestiges, une dégustation organisée près d’un site antique, ou une plongée dans les archives des musées locaux : les trésors du passé sont toujours à portée de main pour ceux qui, comme les Romains, aiment explorer, goûter, et partager.

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